Un bilan d'expérience

Au ranch, l’élevage compte une quarantaine de chevaux. Ce sont des quarter horses, avec apport d’anglais et d’arabes pour obtenir des bêtes saines dans leur tête, au pied sûr et au grand cœur pour travailler le bétail. Dans l’esprit de Bob, le dressage se fait dès le plus jeune âge ; les poulains sont au contact de l’humain dès le début de leur vie et ce de manière quotidienne. Puis s’enchaînent les étapes habituelles : licol, couverture, selle. Ici, pas de chuchoteur, mais de la douceur, beaucoup de douceur. Une fois le cheval monté, il doit être travaillé le plus souvent possible. La progression est rapide, mais au rythme du cheval et des disponibilités de Bob. Les chevaux du ranch, appelés à travailler avec le bétail, sont habitués à monter et descendre seuls des vans, cette opération nécessitant parfois de se faire plusieurs fois par jour, donc avec le moins de perte de temps possible.

Le ferrage à froid est traditionnel dans ces régions. Toujours surprenante pour nous, il faut remettre cette technique dans son contexte : dans l’Ouest, vous pouvez être à plusieurs centaines de kilomètres du premier maréchal ferrant, même de nos jours. Le fermier doit ferrer lui-même, cela fait partie de son travail. Lorsqu’il est loin du ranch, il doit pouvoir se débrouiller seul pour refixer ou remplacer un fer. Évidemment, ce ferrage a une longévité fortement écourtée, mais il est parfaitement adapté aux conditions locales. Dans chaque mouvement du cow-boy, nous pouvons retrouver une recherche de l’efficacité, sans geste inutile. C’est un gage de longévité dans l’effort, que d'en garder toujours sous le pied. Il faut absolument toujours avoir de la réserve en tout.

Les chevaux ont le pied sûr. Nous pouvons utiliser des passages surprenants tels, par exemple, des “slick rocks", roches lisses, là où nous n’oserions pas nous aventurer dans nos contrées. Mais le cheval passe toujours de bon cœur, sans rechigner, semblant ne pas être étonné de ce que nous lui demandons. Il est rare de mettre pied à terre. Pour Bob, là où il passe à pied, le cheval peut passer aussi... et il passe.

Les jeunes chevaux apprennent énormément au contact des plus anciens. En fait, c’est une quête perpétuelle d’harmonie : harmonie avec le cheval, avec le bétail, avec le pays. Lorsque vous êtes en harmonie, tout semble facile et vous êtes alors efficace.

L'Harmonie c'est l'efficacité.

On naît et l'on vit dans un monde rude et la vie doit s’adapter. Les enfants sont nés au ranch. Le premier médecin est à deux heures de route ; s’il faut faire une radio, c’est à trois heures. Hommes et chevaux sont logés à la même enseigne, harmonie et respect mutuels sont absolument nécessaires, ceci est vital, pour obtenir la confiance de votre monture. Le cheval est indispensable à l’homme mais la réciproque n'est pas forcement vraie. La dureté imposée par les lieux implique la nécessité de communiquer en permanence avec le cheval et la communication passe par le respect mutuel... On ne “casse" pas le cheval, mais il faut cependant savoir se montrer ferme si le besoin s’en fait sentir. Une certaine complicité s’installe alors entre l’homme et le cheval. La base de toute communication est le respect ; pour obtenir ce respect vous devez mettre en confiance ; pour mettre en confiance, il vous faut passer par la complicité et pour obtenir la complicité il faut bien pouvoir communiquer. Le plus dur est de comprendre l'enchaînement en cascade et la finesse pour passer d’une étape à une autre. Depuis quinze ans que je côtoie cette famille, les rapports sont devenus très amicaux mais leur art de vivre reste toujours à découvrir. Quel plaisir, à chaque passage, d’en comprendre un peu plus les subtilités, de se sentir un peu plus cow-boy. Loin des “dude ranchs” et de leur piscine, sauna, spa et autres accessoires, nous essayons de vivre la vraie vie des ranchers, celle de tous les jours, depuis que l’Ouest existe. Nous essayons de saisir la quintessence de cet art de vivre. Pour comprendre l’équitation western, il faut visiter le pays, se rendre compte comment les grands espaces influent sur le quotidien.

Lors de mes premiers passages, je montais à l’européenne et ne voyais pas l’intérêt de “me déguiser en cow-boy”. Un jour, Bob me dit que des bottes seraient préférables. Après une première journée avec mes tiags, j’ai compris pourquoi ces Américains ont toujours des jeans trop longs : c’est pour éviter, qu’à cheval, la poussière, les cailloux, les branches cassées, ne rentrent dans les bottes. Un autre jour, après avoir été copieusement mouillé en montagne et avoir eu froid, j’ai compris l’utilité d’un duster. Seulement voilà, à la pluie suivante, après avoir fait l’acquisition de ce merveilleux vêtement, je n’avais pas de chapeau et la pluie coulait à l’intérieur du vêtement, résultat zéro. J’achète donc un chapeau et découvre à mes dépens une fois de plus, qu’il faut aussi un couvre chapeau (quelle que soit la qualité du feutre, la pluie reste toujours son ennemi). Je suis désormais protégé du soleil, de la poussière, du froid et de la pluie. La panoplie me semblait complète lorsque Bob me dit que tant que je ne mettrais pas d’éperons, je ne pourrais pas progresser. Tous ses chevaux sont éduqués avec des éperons et c’est vrai ; ainsi équipé, à peine sur le cheval, la différence se fait sentir, la réponse de l’animal est instantanée. Le cheval comprend et vous respecte plus. Au ranch, les enfants n’ont pas le droit de monter sans éperons. Les éperons ne sont pas agressifs comme nous le pensons, ce sont juste des outils de précision, une extension de la jambe. Les mollettes sont beaucoup plus souples que les princes de galle, et de plus le pied est beaucoup plus bas sur le flanc du cheval qu'en monte Européenne, comme l'on dit là-bas. La molette est faite pour rouler sur le ventre et non pour taper le flanc. Une fois cette notion acceptée, c’est un autre plaisir qui se dévoile. J’allais oublier les chaps ! Après quelques journées à chercher et pousser du bétail dans la forêt, croyez-moi, vous ne vous posez plus la question quant à leur utilité. Et voilà comment en quelques étapes, on se retrouve habillé façon western. La grande leçon à en retirer est que chaque pièce d’harnachement du cheval ou de son cavalier a son utilité, sa raison d’être. La fonction crée l’objet, c’est pourquoi on retrouve en cela beaucoup de points communs avec les gardians ou les gauchos.

Rémy