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Le Montana en 2011

 

 

Un grondement sourd se fait entendre. « Les voilà qui arrivent », annonce Charles en indiquant un nuage de poussière. Quelques secondes plus tard, les premiers chevaux apparaissent, arrivant au galop, toutes crinières flottantes. Bientôt, le cavvy , ou troupeau de chevaux de selle d’un ranch, de 45 chevaux, encadré par deux cavaliers, s’engouffre dans le corral. « C ‘était super ! » s’exclame Mathieu, un sourire jusqu’aux oreilles et encore essoufflé par sa galopade de deux kilomètres derrière les chevaux.

Mathieu et Charles font partie d’un groupe de cavaliers francais, passionnés depuis toujours par l’ouest et les cow-boys, qui ont décidé de vivre une expérience authentique dans un ranch du Montana. Mais pas n’importe quel ranch : 250.000 hectares, 11.000 têtes de bétail. De quoi s’occuper pendant une semaine ! Le ranch, fondé il y a plus de 60 ans et appartenant toujours la même famille, est légendaire au Montana. Fort de sa réputation d’être un des derniers grands ranches traditionnels où tout le travail se fait à cheval, les cow-boys viennent des quatre coins de l’ouest pour y travailler.

Fraîchement débarqués la veille, nous sommes agréablement surpris quand nous apercevons, au détour du chemin de terre qui mène au ranch, une fière bâtisse en rondins, perchée au sommet d’une colline. L’intérieur nous laisse encore plus pantois : un mobilier élégant de style western où le cuir et le bois se marient avec goût, une grande cheminée en pierre, des chambres spacieuses et douillettes. Les, un des managers du ranch, nous accueille avec un sourire chaleureux et nous invite à nous rendre sur la terrasse où des rafraîchissements sont servis. Tom, un grand gaillard à la moustache grisonnante, se joint bientôt à nous. Nous apprenons que c’est lui qui dirigera le rassemblement de bétail du lendemain. Jacqueline et Daniel sont en voyage de noces. Tous deux cavaliers depuis leur enfance, ils ont préféré vivre cette aventure inédite plutôt que d’aller « se bronzer sur une plage. » Tandis que nous faisons connaissance, nous admirons la vue et le coucher du soleil qui éclaire les collines d’une lueur dorée. Une légère brise rafraîchit cette chaude journée de juin. La température est idéale et nous savourons chaque instant de cette soirée magique.
« Les propriétaires rêvaient depuis longtemps de partager la vie du ranch avec des cavaliers de l’extérieur. Ils ont donc construit cette superbe « lodge » pour les y accueillir », nous explique Les. « Nous tenons cependant à offrir une expérience authentique, propre à un grand ranch traditionnel comme celui-ci, et qui n’a rien à voir avec celle d’un dude ranch », explique Les. « Vous chevaucherez auprès de vrais cow-boys dans le cadre de leur travail quotidien. Très peu de ranchs offrent cette possibilité. »

Après un savoureux repas servi autour d’une immense table ronde, nous nous retirons bientôt dans nos chambres. Les lits sont moelleux et les oreillers douillets à souhait. Autant nos hôtes n’ont pas rechigné sur le confort, autant le travail passe avant tout. Ici, pas de grasse matinée, le petit déjeuner est à six heures. Tom nous a annoncé une longue journée, avec marquage des veaux à la clé, et le bétail est plus facile à déplacer « à la fraîche », avant que la chaleur et les mouches ne l‘incite à se réfugier dans l’épaisseur des fourrés d’où il devient presque impossible de le déloger.

Le soleil levant caresse le sommet des collines lorsque nous partons au grand trot à la recherche du troupeau. Ici, pas de pas à la queue leu leu. Clint et Nick, deux jeunes cow-boys, nous ont rejoints en chemin. Ils sont arrivés à cheval de leur « cow camp » situé à cinq kilomètres. Nick est originaire de l’Oregon. Avec son chapeau à bord plat, ses étriers recouverts de grands tapaderos et ses rênes en cuir tressé, il a le look typique des buckaroos.

Nous arrivons bientôt en vue des premières vaches. Nous nous séparons afin de ratisser l’immense pâture. Jacqueline et Daniel partent avec Clint, Charles part avec Tom tandis que Mathieu et moi-même faisons équipe avec Nick. De temps en temps, l’un de nous profite d’une hauteur pour se rendre plus visible et se rendre compte de la progression du troupeau et des autres cavaliers. Il est en effet important de ne pas se trouver trop en avant, ni trop en arrière par rapport au reste du groupe. Après deux heures environ, nous nous rejoignons tous dans une vallée verdoyante qui forme un entonnoir. Nous amorçons une descente en pente douce et le troupeau se met à trottiner. Soudain, un veau s’échappe du troupeau et cherche à se réfugier au milieu des fourrés. Tom et Mathieu l’ont repéré en même temps mais Mathieu se trouve plus près. « Ne le laisse pas s’échapper ! » lui lance Tom tandis que Mathieu part à sa poursuite. Veau et cavalier disparaissent au milieu des broussailles, reparaissent de l’autre côté et disparaissent à nouveau derrière le sommet d’une colline. De longues minutes s’écoulent. Tom s’apprête à aller lui prêter main forte quand Jacqueline s’exclame : « Il arrive ! » Au sommet d’une autre colline, Mathieu apparaît avec son veau. Alors que nous pensions voir Mathieu revenir bredouille, il a réussi à ne pas lâcher son veau d’une semelle. « Good job ! » le félicite Tom. L’air nonchalant mais néanmoins fier d’avoir accompli sa tâche, Mathieu regagne sa place le long du troupeau.

En fin de matinée, nous arrivons en vue du campement où nous passerons la prochaine nuit. Des tipis en toile sont montés autour du chuckwagon, ou cuisine roulante, qui devient le centre de vie du campement pendant la saison des marquages. Après que le bétail se soit engouffré à l’intérieur du corral dans un concert de beuglements assourdissants, nous attachons nos chevaux et nous dirigeons vers le chuckwagon. Chris est « cow boss » de cette section du ranch. A seulement 26 ans, il est responsable de 22.000 hectares et du bétail qui s’y trouve. « Bienvenue au campement ! », annonce-t-il d’un ton jovial. Il nous présente au reste de son équipe : Brian, Justin, Craig et Jesse. Nous nous installons près du chuckwagon et dévorons notre casse croûte.

L’après midi est consacré au marquage des veaux. Tandis que deux cavaliers attrapent tour à tour chaque veau au lasso par les pattes arrières au rythme d’un toutes les deux minutes, l’équipe de sol s’affaire. Etant infirmière, Jacqueline décide de s’occuper des vaccins et Charles de l’étiquetage aux oreilles. Jesse montre à Mathieu comment utiliser la « Nord Fork », un outil destiné à maintenir le veau par le cou, et qui économise une personne au sol. Brian montre à Daniel comment apposer la marque du ranch sur chaque veau. L’odeur de poil brûlé flotte dans l’air. Le travail est rude au milieu de la chaleur, de la poussière et des beuglements mais chacun y trouve son plaisir. Une fois le marquage terminé, le troupeau est relâché. De retour au « wagon », Brian fait rôtir des steaks gigantesques à la braise. Assis autour du feu, nous sirotons une bière bien méritée tout en admirant un coucher de soleil écarlate. Pendant le dîner, Chris annonce qu’il a besoin d’un volontaire pour l’aider à rassembler les chevaux le lendemain matin avant le petit déjeuner. C’est alors que Mathieu saute sur l’occasion…

Les chevaux sont maintenant dans le corral, calmés après leur galopade matinale. Lasso en main, Chris s’avance à pied vers le centre du corral afin de sélectionner les montures pour la journée. La boucle « houlihan » fend l’air avant de retomber avec précision autour de l’encolure du cheval qui résigné, fait aussitôt face à son maître. Avec un sourire de satisfaction, Chris s’avance vers l’animal pour le mener hors du corral et le donner à son cavalier qui le bride et le selle.

Aujourd’hui, nous déménageons le campement pour l’installer à nouveau dans un autre secteur du ranch. Les tentes sont démontées et entassées dans un chariot, les effets de cuisine et la nourriture sont casés dans le chuckwagon et chaque chariot est attelé. Cela aussi fait partie de la tradition au ranch. « Il est en fait plus économique et rapide de se déplacer d’un campement à l’autre en chariot attelé, que de faire des tas d’allers et venues en pickup. Et puis les gars aiment ça. Pour eux, c’est le meilleur moment de l’année », nous confie Chris. Une heure plus tard, tout le monde est prêt. Dans l’air frais du petit matin, alors que le soleil commence à réchauffer la prairie encore empreinte de rosée, le convoi s’ébranle. A l’arrière, encadré par un groupe de cavaliers, le cavvy suit au petit trot. Les chevaux hennissent, les essieux de bois grincent et les fouets claquent. Autant de sons et d’images d’une époque révolue, et que des hommes comme Chris, Tom et Les s’escriment à faire revivre. « On se croirait dans un western ! », lance Daniel. Vers midi, nous atteignons le lieu du prochain campement et consacrons le reste de l’après midi à explorer à cheval cette partie du ranch. Nous galopons à travers une pâture verdoyante recouverte d’un tapis de fleurs sauvages, chevauchons à l’ombre de sapins avant de désaltérer nos chevaux dans un ruisseau aux eaux limpides. Ce soir, nous retrouvons le confort de la lodge et demain, nous chevaucherons à nouveau aux côtés de Tom, Clint et Nick. Il est également prévu que Jesse nous initie au maniement du lasso, perpétuant ainsi le mythe du cow-boy.